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Sidi Waggag b. Zalluw al-Lamti, Aux origines du malékisme étatique nord-ouest africain

Sidi Waggag b. Zalluw al-Lamti,

Aux origines du malékisme étatique nord-ouest africain

Sous la direction de Mustapha Naïmi

Cet ouvrage se propose de présenter au lecteur un savoir objectif et empiriquement fondé sur l’apport de Waggag b. Zalluw al-Lamti (Sidi Waggag) dans la constitution réelle de l’Empire des Almoravides à partir de la zawiya d’Aglou dans la rive n-o saharien. On sait peu sur l’impact réel de cet empire dans la reproduction du modèle de l’Etat idéal durant les siècles qui l’on suivi. Le système éducatif des zawiyas servait à former des élites qui, dans un premier temps, constituaient l’épine dorsale de la morale politique malékite, puis des chantres de la mobilisation active au service de l’Etat idéal.  Est-il vrai que toute étude sur la genèse de l’islam malékite dans le nord-ouest saharien se doit de prendre le rôle de cette zawiya comme unité d’analyse pertinente ? Aussi bien pour des traditions pratiques qu’empiriques, la zawiya de Sidi Waggag est le premier terrain où la perception du pouvoir peut être dite sur l’adéquation du saint fondateur et de l’imamat comme catégorie analytique. L’essentiel de notre argumentation est que la zawiya de Sidi Waggag fait partie d’une structure plus importante, ou d’un système allant de l’histoire politique de chaque zawiya n-o africaine à la dépendance vis-à-vis du système du pouvoir hérité du modèle almoravide.

Peut-on construire un modèle de reproduction de l’etat idéal pour étudier l’espace mythique propre à toutes les sociétés ouest africaines, mais ancré dans l’héritage confrérique de la rive n-o saharienne ? Le recours à l’anthropologie vise à donner un fondement universel à la théorie de l’Etat idéal n-o africain. Nous tentons de répondre à la question en quoi l’étude de la société ouest saharienne des Sanhaja nous permet-elle de comprendre la démarche du fondateur de la dynastie des almoravides. La démarche constitue non seulement une introduction à la raison qui a poussé Waggag à la formation de cette dynastie, mais aussi à l’anthropologie de l’Etat au 5ième/11ième siècle et à ses problématiques fondamentales. Au fondement de cette société, il y a certes la famille et la parenté, les échanges et les rapports économiques. Mais ce sont surtout les rapports politico-religieux qui intéressent le savoir et le comprendre dans ce livre, car cela permet d’éclairer bon nombre d’enjeux et de situations d’une acuité certaine. Comment concevoir l’homogénéité des traditions malikites ouest africaines et expliquer à la fois la diversité de leurs productions, au double sens du rite et du mythe de l’Etat idéal ?

Il est vrai que tant sous l’angle de la philosophie politique que sous celui de l’anthropologie ou de l’histoire, l’idée de pouvoir politique ne peut être séparée du pouvoir divin. La société religieuse en Afrique du Nord et dans l’Ouest africain faisant du malikisme son unique raison de fonder le présupposer étatique, élève cette légitimation au dessus des tout. En tant qu’unique base de l’ordre politique que l’émancipation de la société appelle, la notion d’Etat nord ouest africain trouve depuis le 5ième /11ième siècle ses fondements dans les structures de pouvoir religieux instauré par Sidi Waggag.

Voilà pourquoi la vision de cet ouvrage s’inspire d’un point de vue anthropologique auquel l’exégèse, la linguistique, l’histoire, l’archéologie, l’histoire apportent leurs contributions. Les cinq premières études nous introduisent dans le milieu où est né et grandi le fondateur de l’Etat almoravide. Les efforts des démarches archéologiques, historiques et anthropologiques nous aident à élaborer des connaissances rationnelles dans l’étude du peuplement et de la culture du milieu sanhajien. La construction de cette démarche remonte en fait à 1984 avec l’émergence de l’Équipe des Études Sahariennes Pluridisciplinaires (l’EESP) dans l’horizon des sciences humaines et sociales. Cette équipe à vocation pluridisciplinaire a organisé une série de tables-rondes et de colloques (cf. bibliographie) qui ont aboutit à la publication d’ouvrages de référence. Au tournant des années 1996 s’est formalisée la première mission sur le terrain de l’EESP. Dès lors, se sont multiplié les travaux monographiques et les conférences thématiques. L’introduction de chaque dossier consiste en un passage en revue de la littérature existante sur les rapports entre l’anthropologie et les autres disciplines. Les membres de l’EESP y affichent leur volonté d’historiciser la discipline, tout en rappelant qu’une telle entreprise n’est pas neuve, et qu’elle peut prendre des directions différentes. Les articles que comprend le dossier sont présentés comme des tentatives concrètes de renouvellement de l’écriture anthropologique par l’histoire. De nombreuses institutions universitaires se parent du label saharien, même si, pour la plupart, ils cantonnent leurs investigations à une ou à quelques publications sans faire de comparatisme disciplinaire ni entre régions. Ce n’est que depuis l’euphorie provoquée par l’affaire du Sahara que s’arrête la période feutrée pour laisser place à la pertinence du monde saharien comme cadre d’étude.

avec une rigueur et une exigence scientifique, puise dans les archives pour reconstituer le milieu où est apparu l’Etat almoravide. Les études qui suivent élevent la configuration qui fait appel aux différentes façons de penser l’organisation et le fonctionnement de cette société. Le croisement des matériaux et leur confrontation aux sources, clarifie la rivalité entre les groupes confédéraux en présence par la mise à jour du langage d’expression sociale de la légitimité politique. Les conclusions ne sont pas le produit de la généalogie de la dynastie fondatrice de l’Etat almoravide mais elles y sont adossées. La tâche de l’anthropologue n’est pas d’énoncer la vérité historique mais de mettre en tension les énoncés justificatifs portant sur la légitimité de l’Etat.

Les questions qui occupent une place centrale dans le livre sont celles qui peuvent amener une perspective d’observation privilégiée permettant de mieux comprendre la façon dont l’imama instaurée par Sidi Waggag s’est construite, s’est renforcée, s’est transformé et a redéfinit ses enjeux. L’objectif principal est la reconstruction des approches, méthodes et notions qui permettent d’approfondir la pensée sur et dans le malikisme. La particularité et la qualité du livre reposent dans cette démarche de l’islam malikite. Il évite ainsi de réduire la perspective sur les démarches des zawiyas des six siècles qui suivent le siècle de Sidi Waggag aux seuls référents des pratiques cultuelles et rend, au contraire, possible de les comprendre à partir des traditions des dynasties religieuses ayant fondés les principautés de la rive n-ou saharienne.

L’ensemble des contributions est organisé autour de deux axes principaux. Le premier recouvre une réalité fondée sur des structures institutionnelles comme l’archéologie des lieux de naissance de Sidi Waggag ou encore son milieu ambiant. Les contributions des signataires du texte archéologique Y. Bokbot et J. Onrubia Pintado s’inscrivent dans le cadre du programme de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine, (INSAP) en partenariat avec la Dirección General de Bellas Artes y Bienes Culturales et de la Coopération espagnole (Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo, AECID). L’inventaire dressé retrace le contexte archéologique de la cité de Nul Lamta. Il identifie deux faits complémentaires décrivant Asrir comme site médiéval, port caravanier de Nûl Lamta, caractérisée par la coexistence, dans un espace relativement limité, de plusieurs pôles : l’agglomération du versant et du contrebas de la colline d’Asrir, et Tuflit al-Harratin. L’histoire de la cité de Nûl Lamta a connu des moments d’expansion ou de régression qui  reposent sur des jalons chronologiques fiables que seule l’enquête archéologique peut situer. L’économie de la cité se complétant sensiblement par rapport à celle fournie par les textes, est identifiable à travers les productions céramiques présahariennes abordées et établies à partir des datations absolues. Les données récoltées sur la morphologie et les modes de construction et d’occupation des maisons sont nombreuses et fournissent un corpus de premier ordre. Les vestiges monumentaux encore visibles de cette cité disparue, ville natale de Sîdî Waggag, appuient ce témoignage exceptionnel de l’histoire du Sahara marocain fermement préservé des menaces latentes de la croissance urbaine.

Le contexte minier dans lequel s’effectue l’exploitation minière au siècle de Waggag pose bien des interrogations sur lesquelles s’attarde El-Moussaoui El-Ajlaoui. Il traite d’un nombre de suppositions sur le contexte des exploitations minières qui restent à confirmer par des fouilles archéologiques dans la rive nord ouest saharienne. Se référant aux détails des textes musulmans du IXeau XIVe  siècle sur  les mines d’argent Todgha (Imitère) et Tamdoult, il se heurte à l’absence des données sur  les mines de Tazalaght et d’Ifran, non loin de la zawiya de Sidi Waggag. Au moment où l’exploitation d’argent prend une place importante dans les activités minières sahariennes, ajoute à la difficulté qu’il ya à saisir l’importance des vestiges archéologiques. Même si les dimensions des mines de Zgoundère et Imitère sont importantes, la mine d’Imitère semble être la première mine massivement exploitée, au moins, de la fin du VIIIe siècle jusqu’au milieu du Xesiècle. Les mines d’Addana (Tamdoult) ont été présentes durant le IXeet le Xe  siècle, tandis que l’âge de l’activité principale de Zgoundère est lié à l’époque almohade du XIIe au XIIIesiècle.

Pour le cuivre, Si quelques exploitations cuprifères fonctionnaient avant  le XIe siècle, aucun texte ne parle de cuivre du Maroc présaharien.  Al Bakri, pour la première fois parle au milieu du XIe siècle des mines du cuivre, du cuivre et du laiton. La place qu’occupe le cuivre et le laiton dans les échanges avec la rive ouest soudanaise est toute indiquée par les fouilles ainsi que par la présence dans les textes arabes du XIIeet XIIIesiècle (Al-Idrissi, Az-Zuhri, l’auteur de K. Al-Istibsar, Ibn Sa’Id, Al-Murraksi, Al-Qazwini, Al-Hamawi. ..)

Le second axe traite du contexte social dans lequel s’est développée la tradition sunnite malékite. Le texte de Constant Hamès traitant du lien entre magie et malikisme, examine l’œuvre malikite ar-Risâla d’Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî (327/938). Il part de l’attitude de la Risala vis-à-vis de la magie-sorcellerie. Entant qu’œuvre contemporaine du mouvement almoravide, la Risala est l’abrégé de l’ensemble de prescriptions malikites destinées par le chef de l’école malikite de Cairouan Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî à l’enseignement des plus jeunes. Elle fait l’objet d’un traitement original par Constant Hamès qui explore l’attitude du courant malikite vis-à-vis de la magie, c’est-à-dire vis-à-vis des pratiques qui visent à « dévier le cours naturel des choses » (kharq al-câda). Ce faisant il montre que la création et surtout l’expansion politique et territoriale du mouvement des Almoravides (al-Murâbitûn) du Sahara vers le Maghreb et l’Espagne, sont étroitement corrélées avec le développement des idées islamiques en leur sein, au point qu’Ibn Khaldûn (m. 1406) a pu écrire que « leur adhésion religieuse communautaire a redoublé la force de leurs liens tribaux de parenté, en leur instillant un idéal et un mépris de la mort, si bien que rien ne les arrêtait ».[1] Succèdent à une lecture attentive, Constant Hamès repère quatre endroits ou passages textuels où le mot-clé « magie » peut-être inscrit, de points de vue épistémologiques différents. Tantôt ce sont les prescriptions légales elles-mêmes qui relèvent du cadre de la magie, tantôt la magie, ou plutôt la sorcellerie, est explicitement désignée, tantôt encore des pratiques sujettes à discussions, en vérité talismaniques, sont finalement approuvées. Il s’avère intéressant de découvrir la tonalité de la Risâla vis-à-vis des pratiques ou des idées de la magie, compte tenu de sa diffusion au sein des groupes et de ses liens privilégiés avec les autorités religieuses almoravides.

Le second axe privilégie l’étude des conceptions, des représentations et des modèles familiaux et généalogiques. Il s’attache à mettre en exergue les structures tribales et leurs implications religieuses.

Dans ce contexte, les contributions s’emploient à mettre en lumière la nature, la fonction et la gestion du pouvoir dans les sociétés ouest sahariennes selon la perspective de l’anthropologie politique et religieuse. Elles se proposent de démêler les liens combien complexes qu’entretiennent la généalogie, la politique et la sorcellerie, inscrites donc dans la continuité de ses travaux antérieurs. Le droit malikite, à la fois instrument du pouvoir et du clergé, a toujours entretenu un lien ontologique avec les zawiyas, dérivant des mêmes sources divines. Il établit et définit ainsi, grâce aux directives d’une morale révélée et un souci téléologique, les normes du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, du licite et de l’illicite. Davantage encore, il participe concrètement, par le biais de l’œuvre des théologiens-juristes, à l’édification et au maintien d’une certaine orthodoxie et à l’exercice d’une autorité qu’il peut s’employer à rendre légitime.

Au carrefour du droit, de l’histoire du droit, de l’anthropologie du droit et de la philosophie du droit, la zawiya de Sidi Waggag s’attache à retracer l’évolution des systèmes normatifs au Sahara et les liens que ces derniers continuent d’entretenir, dans le contexte de la mobilisation confrérique des siècles précédents, avec le pouvoir, la morale et la religion. Une approche et une perspective comparatiste entre  zawiyas dynastiques nous permettrons de mettre en lumière l’intérêt de la thématique de l’imama abordée dans ce contexte et qui est familière à la culture juridique et politique telles que la théocratie dans leur rapport avec le droit. Nous verrons, au terme d’une démarche chronologique, la transposition du processus qui, dans un environnement caractérisé par la politisation du malikisme, par une inévitable mise en application du projet de l’imama dans la religion.

A l’instar des autres sciences sociales, l’histoire de la zawiya Sidi Waggag est en partie l’histoire politique du Sahara atlantique et central. À travers son portrait d’instauratrice de l’imama, aux itinéraires distincts, se dessinent sommairement une entrée dans le cheminement de la pensée religieuse et politique. L’analyse du rôle de l’imama est porteuse d’une multiplicité de théories et de méthodes.

A l’intérieur du pluralisme d’idées qui marque l’histoire de cette région, la multiplicité des versions engendre parfois de vives controverses, au cours desquelles les chercheurs en Sciences humaines et sociales échangent des arguments portant sur la construction des faits ethnographiques, la pertinence des formules théoriques, les approches jugées légitimes, les finalités du travail anthropologique, et le rôle que cette discipline est appelée à jouer aussi bien parmi les sciences sociales que sur la scène publique. L’ouvrage ne renonce pas à l’ambition d’élaborer à travers cette diversité des paradigmes anthropologiques perçus tantôt comme un symptôme d’immaturité d’une discipline encore trop jeune, tantôt comme un signe de sa vitalité et de sa richesse. Alors que la présentation habituelle des théories et écoles anthropologiques permet de décrire l’état des savoirs établis, l’analyse de controverses donne à voir l’anthropologie en train de se faire.

 


[1] « Al-ijtimâ’a ad-dînî dâ’afa quwwat ‘asabiyyatihim bi-l-istibsâr wa l-istimâta fa-lam yaqif lahum shayy’ » (‘Ibar, I, Muqaddima, 158).

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