Rabat, le 15 janvier 2014
CONDOLEANCES
Nous avons appris avec une profonde tristesse le décès de l’historien Jean Brignon. En cette douloureuse occasion, je tiens, en mon nom personnel et au nom de tous les membres de l’Association Marocaine Pour la Recherche Historique, à exprimer à sa famille et à ses nombreux amis au Maroc et en France nos condoléances les plus sincères et notre sympathie. Notre regretté Brignon a été l’un des historiens qui ont contribué à l’écriture de l’histoire nationale par ses écrit et par l’enseignement qu’il a assuré à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat ; il a laissé au Maroc, dans la communauté des historiens, un souvenir émouvant.
Otmane El Mansouri
Président de l’Association Marocaine Pour la
Recherche Historique
Jean BRIGON, co-auteur de Histoire du Maroc ( 1967) et ancien professeur à la Faculté des Lettres de Rabat, vient de nous quitter. Son grand ami, Daniel Nordman, a bien voulu, à ma demande, lui consacrer la note ci-dessous qui revient brièvement sur l’itinéraire du défunt et particulièrement sur ses relations avec le Maroc.
Jamaâ BAIDA
Jean Brignon a été un très grand ami du Maroc. Originaire de la Bretagne, à laquelle il est resté, sa vie durant, extrêmement attaché, il a fait très tôt connaissance avec ce qui a été, pour ainsi dire, une seconde patrie, qu’il a découverte, d’abord comme militaire, puis, jeune agrégé d’histoire, comme professeur au lycée Moulay Idriss de Fès et au lycée Moulay Youssef de Rabat. Il enseigna ensuite, pendant de nombreuses années, à la Faculté des lettres de Rabat, l’histoire médiévale (dont il a fait sa spécialité, s’intéressant en particulier aux Mérinides), et il dirigea le Département d’histoire de 1969 à 1972. Il fut aussi chargé de l’inspection de l’enseignement de l’histoire et de la géographie au Maroc, puis, après son retour (1972), fut en France Inspecteur pédagogique régional (dans diverses Académies, entre autres celles de Nantes, de Versailles). Quelques années plus tard, il fut détaché auprès de l’Inspection générale d’histoire et de géographie, plus particulièrement en charge des relations avec les établissements français à l’étranger. L’aide apportée aux jeunes enseignants a été chez lui essentielle.
Ce bref aperçu révèle peut-être déjà ce qui a été une de ses préoccupations majeures : la convergence de multiples activités. Il a en effet constamment associé ses diverses missions: l’enseignement de la discipline historique, dont il suivait avec attention les renouvellements, comme l’atteste son rôle de coordinateur et de coauteur de la mémorable Histoire du Maroc (1967), histoire qui a fait l’admiration du grand historien Pierre Vilar, invité peu après la publication à la Faculté des lettres de Rabat, et qui a été pendant plusieurs décennies l’ouvrage de référence, longtemps sans équivalent en français ; le souci pédagogique, qui s’est manifesté dans la rédaction et la direction de manuels d’histoire et de géographie pour les collèges et les lycées (la collection dite Jean Brignon, chez Hatier) ; le renouvellement des cadres géographiques et historiques (aux Éditions Bordessoules, il codirigea la préparation et la publication de la collection de monographies départementales par les documents) ; la vulgarisation de haute tenue, celle qu’attendent les visiteurs, par ses contributions significatives aux guides touristiques (villes du Maroc, guides du Maroc et de la Tunisie) : tâche exigeante et précise à laquelle l’ont conduit ses inlassables déplacements à travers le plat pays, ses lectures érudites et sa volonté de réviser lui-même les éditions.
On le voit, le Maroc resta pour lui omniprésent. C’est là qu’il manifesta sa curiosité intellectuelle, sa passion de connaître et de faire connaître, dès le début de sa carrière – et bien au-delà. Son épouse, Claudine, disparue en 2008, a été, pendant de longues années, cartographe à l’Institut de Géographie de Rabat (leurs quatre enfants ont grandi au Maroc : Christine, Sylvie, Valérie, Jean-Yves, les deux derniers y sont nés). Selon une formule pédagogique consacrée, à laquelle avec ses collègues il savait donner le sens de découvertes in situ (les paysages, l’histoire urbaine, le patrimoine monumental), il emmena ses étudiants, futurs enseignants, dans de stimulantes et vivantes excursions à travers le Maroc, et il guida, alors qu’il était inspecteur pédagogique à Nantes, ses collègues au Maroc, en Sicile, en Égypte. En 1996, il créa une association, Rive Sud, avec une intuition et un dynamisme magnifiques, pour l’organisation, pendant bientôt vingt ans, de voyages culturels, savants et accessibles à tous : deux ou trois voyages annuels, une dizaine au moins de voyages au Maroc – régionaux, thématiques, toujours originaux et inventifs, comme la route des Almohades, la route de l’arganier, les portes du désert, villes impériales, mer et montagnes, et beaucoup d’autres, sous la direction d’universitaires spécialistes marocains ou français -, ainsi que d’autres destinations en Méditerranée (Jordanie, Syrie et Liban, Sicile, Sardaigne, Croatie, Espagne) et au-delà de la Méditerranée originelle (Mali, Hoggar, Ouzbékistan, Russie et Sibérie, pays baltes, ou encore Pologne en juin 2013). Il dirigea lui-même nombre d’entre deux et prit part aux derniers. Jean Brignon se définissait comme un éternel nomade, et nombreux sont ceux qui l’ont suivi dans cette passion de la découverte et son sens aigu du regard. Des assemblées générales annuelles, organisées par les adhérents dans différentes villes successivement, accompagnées de visites locales, ont scandé une vie associative heureuse.
Cette œuvre pionnière, aimante, ne disparaîtra pas. Le Maroc restera présent dans sa famille, d’une génération à l’autre. Présent aussi dans un vaste réseau d’amis, qui constitue une autre famille. L’homme aussi demeure, à travers sa culture (et sa bibliothèque de Bretagne, où se sont amassés, pendant un demi-siècle, des collections entières de revues historiques, religieuses, maritimes, des ouvrages innombrables sur l’histoire et l’art du Maroc et de la Bretagne, des romans modernes n’échappant jamais, d’année en année, à la curiosité d’un immense lecteur, qui n’oubliait pas pour autant les plus grands (Tolstoï, relu lors du voyage en Russie). Et plus que tout, ou plutôt en même temps : une joie de vivre et une gaieté constantes, une amitié chaleureuse, tonique, en éveil à chaque instant, qui se communiquaient à tous.
Daniel Nordman
إنا لله وإنا إليه راجعون