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Mina EL MGHARI, Compte-rendu: Collectif- Arts et architecture amazighes du Maroc

Collectif- Arts et architecture amazighes du Maroc ; Institut Royal de la Culture Amazighe, Editions La Croisée des Chemins, Casablanca, 2012, 275 pages.

Compte-rendu : Mina EL MGHARI, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Rabat.

Arts et architecture amazighes du Maroc est le titre d’un bel ouvrage de 275 pages que l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) vient de publier. C’est une  œuvre collective considérable aussi bien par la nature de son sujet que par la qualité des illustrations qu’elle nous livre. En effet, les textes dûment documentés sont accompagnés d’une abondante et riche iconographie, principalement en couleurs. Cette nouvelle production de l’IRCAM  rappelle, certes par son thème et aussi par l’image qui illustre de sa couverture, un autre ouvrage publié en 2002 et réédité récemment sous la signature de Salima Naji : Art et architectures berbères au Maroc. Cependant ce dernier livre est exclusivement consacré à l’architecture.  En outre, les arts amazighes, tous genres confondus, demeurent un domaine de recherche dont l’importance n’interdit pas la répétition des initiatives ayant pour but de préserver ce patrimoine de l’extinction. Le Directeur de la nouvelle  publication, le Professeur Ahmed Boukous, Recteur de l’IRCAM, n’a d’ailleurs pas manqué de pointer dès les premières pages du livre le danger que court cet héritage : « L’art rural est mis en péril par une conception marchande de la culture qui s’impose partout de façon irréversible » (p.13).

La lecture des six thèmes de l’ouvrage, confiés à un groupe d’auteurs avertis, permet de revisiter ce champ de recherche, ô combien important ; un domaine où la diversité et la pluralité sont à l’honneur. L’histoire du Maroc plusieurs fois millénaire, ainsi que la variété de ses régions, sont en effet les garants d’un patrimoine considérable dont de multiples facettes sont encore ignorées ou mal connues. L’exercice est donc de taille !

L’aspect académique est souligné dès le premier chapitre consacré à l’art rupestre. Mustapha Nami, archéologue, explore d’une façon soutenue ce patrimoine marocain ancestral et inestimable. Les 300 sites recensés à ce jour se répartissent du  Haut Atlas (Oukaimeden, Ygour) à l’Anti-Atlas, puis de Figuig, Saguiet El Hamra à Oued Ed-Dahab. Partout dans ces régions des  sites préhistoriques permettent  d’attester que les zones présahariennes et sahariennes étaient jadis couvertes de verdure et de troupeaux de bovidés et d’éléphants. Les images permettent de relever des figurations, des représentations zoomorphes, des épigraphies… autant de signes et symboles qui rappellent les trésors archéologiques de sites de grande valeur (Foum Echenna,Tizgnt, Tamanart…). Des vestiges archéologiques sont savamment exposés au lecteur par le texte et la photo, interpellant les consciences à en approfondir la connaissance et en entreprendre la sauvegarde.

Par ailleurs, l’approche habile de Catherine Cambazard-Amahan, archéologue et historienne de l’art  du bijou, ouvre des horizons quant  aux origines et influences d’un travail particulier unissant esthétique et savoir-faire. Une riche collection de bijoux et d’autres objets illustre un texte  bien documenté. Aucun détail n’échappe à l’auteur : les ressources métallurgiques minérales et organiques  variées (argent, étain, cuivre, plomb, galet, pierre de quartz, ambre, coquillage, nacre…), le travail au voisinage des mines comme Day dans le Tadla, Iggli et Igherm dans le Souss, Ifrane dans l’Anti-Atlas et les artisans juifs et musulmans… De précieuses informations  sont livrées comme ingrédients principaux servant à mieux comprendre le socle d’un art qui a influencé son voisinage comme il a lui-même  subi l’influence d’apports divers venus l’enrichir. Les parures niellées, ciselées, estampées, cloisonnées, filigranées… confirment  une richesse singulière. Nous sommes en présence de véritables portraits avec parures et objets divers, le tout instruit d’une description minutieuse  des différentes techniques utilisées par des artisans habiles. Devant une telle variété, l’auteur n’a pas omis de souligner la dimension dynamique de cet art. C’est ainsi que la  bijouterie rurale et l’orfèvrerie citadine ne peuvent être dissociées. Le bijou amazigh s’est développé aussi bien dans le Todgha et Guelmim qu’à Marrakech, Essaouira et Fès.

Quant à l’anthropologue Ali Amahan,  il fait découvrir au lecteur, dans la troisième partie consacrée au tapis, de belles pièces de tapis fabriqués à la main dans la pure tradition. L’art du tapis, aussi dynamique que celui du  bijou, se développe sur un vaste territoire. L’auteur  soutient que « le tapis marocain est d’abord amazighe en dépit de toutes les influences qu’il a reçues[…] le tapis produit dans les zones amazighophones, même les plus reculées, n’a jamais cessé de s’enrichir des apports extérieurs » (p. 134). C’est un savoir- faire répandu aussi bien dans les grands ensembles citadins que  dans les milieux ruraux. Mais si Ali Amahan  rappelle que le style du tapis amazighe se caractérise surtout  par un décor favorisant lignes, losanges, rectangles et carrés, on remarquera  toutefois  sur les mêmes photos exploitées par l’auteur des représentations humaines ou animales (voir les tapis des Ait Sadden, Ait Abd Hamid, Marmocha). Le tapis marocain offre une large diversité, puisque chaque région, urbaine ou rurale, se distingue par son propre style, ses techniques, la composition de ses décors, la texture de ses nœuds, les couleurs employées, etc. Toutes ces caractéristiques se sont perpétuées, d’une génération à une autre, pour nous léguer les traces d’une mémoire séculaire.

La décoration du tapis exceptionnellement géométrique n’est pas sans évoquer celle de la poterie. L’échantillonnage choisi  par l’anthropologue El Khatir Aboulkacem-Afulay nous le rappelle. Hallab, couscoussier, cruche, guedra, jarre…  autant d’objets  exposés au milieu d’un  texte agrémenté de mots en tifinaghe  que l’auteur a utilisés pour la terminologie de la  poterie amazighe. Selon lui, cet art plonge ses racines dans l’histoire antique de l’Afrique du Nord. Ainsi, la poterie amazighe atteste un nombre de croyances et de pratiques anciennes. Les Amazighes sont dépositaires d’une culture et d’un savoir-faire ancestral dont la production et la reproduction constituent une  dynamique constante. On relèvera, cependant, que la grande majorité des objets présentés dans l’ouvrage date  surtout  du  XXe  siècle.

 La cinquième partie est illustrée dès la première page par l’image d’une magnifique porte en bois. Pour l’auteur, l’archéologue Hafid Mokadem, la porte demeure l’élément essentiel de l’art du bois. Cet objet du quotidien, aux multiples formes et aspects, révèle la complexité des sociétés amazighes du Maroc. Le chercheur nous fait découvrir la diversité des portes extérieures et intérieures. Il passe au peigne fin plusieurs détails, de la richesse du type de bois  employé selon les régions, (noyer, cèdre, amandier, olivier, thuya, arganier, genévrier, acacia, chêne vert…) à une décoration  chaque fois innovante. Il souligne à ce propos que le trait caractéristique le plus marquant des portes du Sud réside dans une décoration originale  basée sur  trois techniques capitales : application de pièces de bois, sorte de marqueterie sommaire, gravure ou incision et peinture. A ces techniques on peut ajouter un quatrième procédé : le cloutage. Au fil des pages, le lecteur découvre une variété d’illustrations de portes de greniers, de kasbah et de tighermin, etc., ou de plafonds. On ne manquera pas de noter l’impact  des procédés décoratifs de l’art amazighe rural sur des œuvres citadines : « les techniques et les formes décoratives amazighes ont aussi marqué de leur sceau certains aspects de l’art urbain, au cœur même des villes impériales » (p. 222).


Quant à l’auteur de la contribution sur le « Patrimoine architectural », l’anthropologue Mustapha Jlok, également coordinateur de l’ouvrage, il invite par son texte et surtout par l’image à se pencher davantage sur l’originalité de l’architecture amazighe. Il nous décrit les igherms,les tighermins et les agadirs (greniers collectifs). Il rappelle leurs structures et leurs organisations spatiales. Toutefois, l’auteur s’attarde abondamment sur la technique de l’architecture en terre et ses façonnages et procédés comme caractéristique majeure du patrimoine architectural amazighe. Les belles photos des kasbah et des igherms sont exclusivement celles de constructions en terre. Pourtant, en explorant les images des agadirs, refuges et surtout magasins collectifs de stockage, c’est la prépondérance de la pierre qui s’impose comme principal matériau de construction. La population amazighe a su exceller dans le maniement des matériaux à portée de main dans l’environnement Immédiat. De terre ou de pierre, l’architecture amazighe marque bien nos paysages par sa pluralité et sa diversité.

Les six contributions dont nous avons fait état brièvement renseignent utilement a la fois l’initié que le profane tout en enrichissant la bibliothèque marocaine dans un domaine qui en a tant besoin. Bien entendu, quelques regrets peuvent toujours être exprimés. Les arts  et l’architecture  amazighes du Maroc qui ont déjà fait l’objet de publications antérieures méritent et nécessitent d’être approchés de  façon novatrice dans la globalité des arts marocains. On ne peut pas en effet, aborder un tel sujet sans évoquer les différents groupements des Amazighes concernés ; les arts et l’architecture sont un produit de sociétés plurielles. Par ailleurs, on ne peut pas non plus omettre, quand il s’agit des arts et de l’architecture amazighes, toute la  production officielle des grandes dynasties amazighes (almoravide, almohade, mérinide …) dont un pan important est d’essence citadine.

Ces quelques réserves n’empêchent aucunement d’apprécier la valeur de ce livre. Il appelle à ouvrir les horizons de la recherche scientifique sur les patrimoines marocains. Et tout lecteur y trouvera à la fois une source d’informations et d’émerveillement sur la pluralité et la qualité des objets et des lieux remarquables. Arts et architecture amazighes du Maroc est  un beau livre  qui  invite au  voyage et à la redécouverte d’un patrimoine dont la réappropriation et la protection doivent commencer par le texte et l’image. C’est un Appel subtil d’une institution qui œuvre vaillamment  afin de restituer sa place à une partie  fondamentale de notre patrimoine.

 

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