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L’historien français BERNARD ROSEMBERGER. Entretien autour de son parcours Par Othman Mansouri (Deuxième partie)

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L’historien  français  BERNARD  ROSEMBERGER.

Entretien autour de son parcours

Par Othman Mansouri

Deuxième partie

  • La parution de l’ouvrage « histoire du Maroc » a coincidé avec votre affectation à la faculté des lettres de Rabat. Pouvez- vous nous parler de cette expérience ?

C’est en octobre 1967 que j’ai commencé à enseigner à la Faculté des Lettres de Rabat la période des XVIe-XVIIe siècles, après quelques cours d’histoire romaine l’année précédente. C’est en effet ces deux sujets que j’avais traités dans notre livre. Je me suis vite limité à la période moderne qui m’intéressait plus et sur laquelle une documentation assez abondante pouvait se trouver notamment dans la collection des Sources Inédites de l’Histoire du Maroc (dont j’avais découvert l’intérêt dans la petite bibliothèque du lycée Mohammed V montée par Gaston Deverdun) et aussi dans des chroniques portugaises de la même époque. Ils me paraissaient compenser la rareté des sources arabes et, d’après ce que les traductions m’en donnaient, leur pauvreté, en particulier dans le domaine qui retenait mon attention, l’économie et la société. J’avais en effet déposé un sujet de thèse sur les nouvelles orientations du commerce mondial au XVIe siècle sous la direction de Claude Cahen.A la Faculté, ma pédagogie a surpris : pas de cours magistral, le commentaire d’un texte distribué d’avance (quand c’était possible) destiné à aborder les questions d’intérêt général qu’il soulevait. Il me semblait que c’était la meilleure façon d’entrer dans un domaine mal connu ou trop marqué par des conclusions hasardeuses. Il fallait développer chez les étudiants une curiosité, un esprit critique, qualités essentielles de l’historien et non pas faire appel exclusivement à leur mémoire.

  • A cette époque, vous avez publié conjointement avec Hamid Triki l’article célèbre sur les famines et les épidémies .

C’est sans doute le fait d’avoir pu constater de mes yeux les effets désastreux sur une bonne partie du Maroc d’une forte sécheresse, qui m’ont amené à travailler avec Hamid Triki, mon ancien élève du lycée Mohammed V devenu historien, sur les épidémies et les famines, à partir des sources disponibles européennes ou arabes. Cette collaboration a été pour moi une expérience très belle, très enrichissante par les échanges constants qui ont marqué la recherche de documents, la critique des contenus et la mise en forme des conclusions. Je souhaitais qu’elle puisse  devenir plus fréquente, tant la méthode a été fructueuse et les résultats ont été jugés importants.  Deux longs articles ont paru dans Hesperis-Tamuda en 1973 et 1974. L’on a pu dire qu’ils ont ouvert de nouveaux horizons.

ROSEMBERGER P2

  • Quelles sont les circonstances de votre départ du Maroc ?

en juillet 1973 j’ai quitté le Maroc. Je peux dire clairement que je n’ai pas accepté de devoir faire passer des examens comme s’il ne s’était rien passé, alors que l’année avait été tout à fait anormale : à la suite de mouvements étudiants durement réprimés,  la Faculté des Lettres avait été fermée dès la rentrée d’octobre 1972, seuls quelques cours avaient été donnés à l’E. N. S. Quelle valeur auraient eu des diplômes acquis dans ces conditions ? Quelle formation réelle auraient eu les étudiants, futurs enseignants ? Ma position, qui a donné lieu à quelque tension avec les responsables de la Faculté, n’a pas été suivie par mes collègues français. Ceux qui sont restés ont pu bénéficier d’une année sabbatique, puisque durant l’été S. M. Hassan II a décidé d’arabiser à la Faculté l’enseignement de l’histoire et de la philosophie, accusés d’inciter les jeunes à la révolte, ce qui, à bien regarder, pouvait avoir une apparence de vérité. Des enseignant venus du Moyen Orient, dont certains ne savaient pas grand chose de l’histoire du Maroc, ont pris la relève avec des méthodes très traditionnelles : beaucoup des étudiants soumis à ce changement s’en souviennent encore !

  • J’ai vécu personnellement cette expérience avec mes camarades étudiants préparant le diplôme d’études approfondies. Nous avons assisté à l’arrivée de professeurs qui ignoraient totalement l’histoire du Maroc et ne faisaient même pas la distinction entre bled maghzen et bled siba. Face à notre contestation, l’administration de la faculté a été obligée de rappeler les professeurs Germain Ayache et Brahim Boutaleb pour dispenser les cours d’histoire contemporaine….Et qu’en est-il alors de votre activité pédagogique dans les établissements secondaires ?

Peu avant, une petite commission que j’avais animée avait réalisé un manuel scolaire bien présenté, abondamment illustré, destiné aux élèves de première année secondaire. Conforme au programme de 1967, il portait sur l’Antiquité de la Préhistoire aux conquêtes arabes. Il avait demandé beaucoup de travail,  mais a dû être mis au pilon par son éditeur. L’importance de la perte d’argent qui s’en est suivie m’est restée inconnue. La raison invoquée par le Ministère était qu’on devait arabiser cet enseignement. Or nous le savions parfaitement et une traduction était prévue. En réalité et sans qu’on me le dise, le vrai motif a été un veto de milieux traditionnels qui n’ont pas accepté que l’Antiquité et les débuts de l’islam soient présentés dans un même ouvrage: cela devait selon eux inciter à croire qu’il y avait une continuité, que l’islam n’était pas une rupture complète avec la Jahiliya. Pour nous, historiens, deux raisons avaient déterminé ce choix. La première était la nécessité imposée par le Ministère, à la suite de la réduction de la durée du premier cycle, de faire entrer en trois années tout le programme précédemment vu en quatre ans. La seconde était qu’à nos yeux comme à ceux des spécialistes de cette période, la civilisation musulmane ne sortait pas du néant, mais avait hérité dans bien des domaines des empires sur lesquels elle s’était étendue. On peut réfléchir sur cette affaire qui montre la difficulté d’une histoire détachée des a priori idéologiques. Je ne sais pas si notre travail a été utilisé par les auteurs du manuel en arabe. Je pense qu’ils ont pu se contenter de traduire. Mais nous n’avons pas eu de remerciement.

  • Vous êtes donc retourné en France où vous avez commencé une vie professionnelle nouvelle ?

J’ai donc du retourner dans l’enseignement secondaire en France, dans un petit lycée d’une sous-préfecture de l’Hérault, où je suis resté deux ans. Comme on m’avait laissé espérer un poste à la Faculté des Lettres de Nice, j’ai demandé ma mutation pour cette ville. J’y ai été affecté pendant 3 ans à un lycée professionnel et technique pour les élèves duquel l’histoire et la géographie n’avaient que très peu d’attrait. Ce fut assez dur. Mais là encore, la chance a joué. A la nouvelle université expérimentale de Paris VIII, créée en  1968, un poste s’est libéré. Il était spécifié « histoire du monde musulman médiéval ». J’ai été élu en 1978 par des collègues désireux de maintenir cet enseignement. Je suis donc devenu « médiéviste », ce qui pour le sujet dont il est question n’a pas la même signification que pour le monde chrétien. J’ai néanmoins axé mes cours sur al-Andalus et le Maghreb et leurs relations avec les Etats chrétiens, avec la même méthode qu’à Rabat : pas ou peu de cours magistral, étude de documents à partir desquels un éclairage peut être donné sur une période, des institutions, etc. J’ai bénéficié pendant tout le temps où j’ai enseigné dans cette université, comme à Rabat , d’une très grande liberté dans le choix de mes sujets et la manière de les traiter. Les étudiants étaient très attachants. Beaucoup reprenaient des études, certains n’avaient pas le baccalauréat. Les sujets traités attiraient souvent plus que l’obtention de diplômes universitaires. Il en résultait une atmosphère très particulière, détendue, amicale, propice aux échanges. Même si peu à peu et sous la pression normalisatrice de l’Education Nationale cette liberté s’est restreinte, je suis resté très heureux dans ce cadre parfois décrié. J’y ai retrouvé de nombreux étudiants et étudiantes  originaires du Maghreb. Je continuais du reste à garder des relations professionnelles et amicales avec d’anciens étudiants et collègues du Maroc, lors de séjours que j’y faisais.

A suivre …

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